La Taverne
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Tarascon (13) : la tarasque

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Tarascon (13) : la tarasque Empty Tarascon (13) : la tarasque

Message  DS Ven 27 Nov - 16:02

La Tarasque

Il y a très longtemps, à l'endroit où s'élèvera, plus tard, le château du roi René (à Tarascon), se dressait un rocher dont les pentes plongeaient dans les eaux profondes du Rhône. À quelques pieds en dessous de la surface, béait un large trou. Et, dans ce trou, se tapissait un monstre aussi laid que cruel que les habitants de ce lieu redoutaient plus que tout.

Bien peu de gens pouvaient décrire la hideuse bête avec précision, car ceux qui, par malheur s'étaient trouvés en sa présence, n'avaient rencontré que la mort. L'horrible créature pouvait donc à loisir sortir de son repaire aquatique, grimper sur les berges du fleuve et parcourir la région, décimant tout sur son passage : ânes et chevaux, enfants et agneaux, vieilles personnes et jeunes filles...

Un jour pourtant, douze braves garçons décidèrent de mettre fin à ses méfaits. Dès l'aube, ils firent le guet devant la pierre, armés de frondes et de gourdins. Ils y restèrent jusqu'à la tombée de la nuit mais durent se rendre à l'évidence : le monstre était déjà parti avant même leur arrivée. Sur une plage de galets, ils aperçurent alors les traces de ses pas énormes qui les menèrent à l'entrée de gorges sauvages où s'engouffrait le Rhône. Cet étroit défilé avait pour nom Tarusco. Les pas géants suivaient le cours du fleuve puis bifurquaient à l'intérieur des terres... C'est ainsi que les jeunes gens arrivèrent au cœur d'une épaisse forêt. Là, ils entendirent des mugissements et des rugissements. En approchant, tapis derrière un tronc d'arbre, ils aperçurent un dragon qui dévorait un bœuf.

-" La victime provient du troupeau de mon père" s'exclama l'un des garçons.
- "Tais-toi" protesta un autre.

Trop tard ! Le monstre avait repéré les intrus et se précipitait déjà vers eux, la gueule béant sur des dents carnassières aussi aiguës que des épées et des poignards ensanglantés. Deux des jeunes gens furent déchiquetés par des pattes énormes armées de griffes d'ours tandis que les autres pattes labouraient le sol d'un piaffement rageur grinçant et crissant sur les pierres. Deux autres garçons, après avoir été à demi asphyxiés par un souffle aussi violent qu'une tornade et aussi pestilentiel que les vapeurs d'un gouffre empli de cadavres, eurent le crâne fracassé par une lourde queue aux écailles de serpent. Deux autres encore valsèrent en morceaux, coupés net par un dos aux crêtes tranchantes comme des haches.

Les six survivants s'enfuirent, pendant que le dragon dévorait ses premières victimes. Arrivant à la ville, essoufflés, fous de terreur, ils racontèrent ce qu'ils avaient vu. Et plus personne n'osa affronter la bête que l'on appela désormais la Tarasque. Elle poursuivit ses méfaits, de temps à autre, au bord du fleuve, dans les îles, les bois et les marécages.

Un jour, une jeune femme, tout de blanc vêtue, arriva devant une cabane de pêcheurs. La famille en pleurs y veillait les restes de l'un des garçons que le monstre avait en partie dévoré.
- Pourquoi vous lamentez-vous, braves gens ? demanda-t-elle, émue par ce chagrin.
- Nous pleurons notre fils que la Tarasque a massacré.
- Et qui est donc cette Tarasque ?
- Un dragon qui se cache dans un trou, sous les eaux du Rhône. Personne n'a jamais réussi à l'en déloger.
- J'irai demain, répondit la jeune femme.
Les pêcheurs la contemplèrent avec stupeur.
- Elle ne fera de toi qu'une bouchée.
- C'est ce que nous verrons, répliqua la blanche demoiselle. Voulez-vous me prêter un lit de paille et me donner quelque nourriture ? En échange, demain, j'irai laver tout votre linge dans le fleuve.

Au matin, elle se rendit au pied du rocher, portant les vêtements de toute la famille du défunt et elle se mit à les battre et à les tordre dans les eaux. Cachés derrière les buissons, les pêcheurs l'observaient :
- Cette petite est brave, mais sans doute un peu folle !
- Si elle échappe au monstre, nous l'accueillerons dans notre maison et la prendrons pour fille.

À ce moment, les eaux commencèrent à bouillonner, la berge à trembler, le vent à siffler dans les roseaux... Une odeur pestilentielle s'éleva dans les airs. Une tête hideuse se dressa au-dessus des flots qui déferlèrent sur la tunique blanche de la jeune femme. Une voix tonitruante gronda :
- Qui es-tu effrontée ?
- Je m'appelle Marthe et je viens du pays de Judée, au-delà des mers.
- Tu n'as pas peur de moi ?
- Pourquoi aurais-je peur ? Qui es-tu donc toi-même ?
- On me nomme la Tarasque. Je suis si laide que les yeux qui me voient ne peuvent me supporter. Mon haleine est si putride que les gens près de moi n'osent plus respirer...
- Mes yeux te voient et n'en sont point aveugles. Mon nez respire et n'en est pas incommodé... répliqua l'étrangère, en continuant tranquillement à laver son linge.
La Tarasque se rapprocha et les pêcheurs, tapis dans les feuillages, regrettèrent amèrement de ne pas avoir empêché la voyageuse de s'aventurer jusque-là.
Le dragon s'approcha, menaçant et boueux. Son corps couvert d'écailles, ruisselant d'herbes visqueuses se dressa devant la frêle lavandière qui, sans se départir de son calme, jeta vers lui un regard limpide et quelques gouttes d'eau en disant :
- Attention ! Tu vas salir mon linge...
Alors, la bête s'immobilisa, comme figée par ces paroles et par ces éclaboussures. Un instant, elle demeura pétrifiée. Puis, Marthe ajouta d'une voix radoucie :
- Pauvre bête ! Il semble que personne ne prenne soin de toi. Viens t'asseoir près de moi et conte-moi tes peines... Moi aussi j'ai vécu des moments difficiles, dans mon pays et sur la mer où je me suis enfuie avec quelques-uns des miens...
Alors, le monstre parut retrouver vie. De ses yeux rouges coulèrent quelques larmes. Il s'approcha et s'installa sur une plage de graviers en demandant :
- Dis-moi ce qui t'est arrivé au-delà des mers.

Tarascon (13) : la tarasque Ste-ma10

Et Marthe commença à parler. Elle parla de son pays et de ceux qu'elle y avait rencontrés. Elle parla de son voyage et de son arrivée sur une plage de sable fin où l'avait accueillie une Gitane noire... Elle parla d'amour et d'espérance. Elle en parla si bien que la bête, apprivoisée, s'endormit auprès d'elle.
Les pêcheurs, enthousiasmés par ce prodige, s'en furent prévenir les autres gens de la région qui affluèrent au bord du fleuve.
Ils y trouvèrent la jeune femme lavant la boue qui salissait les écailles du monstre et demeurèrent un instant stupéfaits, incapables de bouger ni de prononcer un mot. Lorsque Marthe détacha sa ceinture et l'accrocha au cou de l'animal pour l'emmener avec elle, ils se précipitèrent avec des haches, des pieux et des lances...
- Non ! Je vous en prie... Elle n'est plus méchante... protesta la lavandière.
Mais ceux qui avaient perdu leur frère, leur fils, leur cheval, leur bœuf ou leur agneau ne l'entendaient pas de cette oreille. Ils tombèrent sur le monstre à bras raccourcis et le transpercèrent de leurs armes, faisant gicler autant de sang que la Tarasque en avait fait couler. Avant de rendre le dernier soupir, la bête lança vers Marthe un regard plein de reconnaissance :
- Avec toi, pour la première fois, j'ai senti mon cœur se vider de sa haine, mon souffle devenir pur, mes yeux devenir tendres... Un instant, j'ai même cru que je pouvais devenir belle !
Puis elle expira. On traîna son corps immense sur une place de la ville où on le laissa exposé au soleil tandis que Marthe était portée en triomphe et sacrée patronne de la ville. La carcasse du monstre se dessécha, des hommes se glissèrent à l'intérieur et l'animèrent d'une seconde vie, faisant bouger sa tête, fouettant l'air de sa queue et crachant le feu par ses naseaux tandis qu'autour, la foule en liesse chantait dans un refrain qui, de bouche en bouche, se mit à serpenter les rues :

La gadeù, Lagadigadeù, la tarascou !
La gadeù, Lagadigadeù, lou casteù !

Virevoltant sur les pavés, l'animal fut conduit jusqu'à un antre obscur où on l'emprisonna. Des chevaliers, portant piques et drapeaux, prirent la tête d'un cortège de paysans, de vignerons, de mariniers, de pêcheurs et de bergers qui se mirent à faire des farces, à rire, à se lancer de l'eau...
Et il en fut ainsi d'année en année, jusqu'à ce que le roi René réglementât les réjouissances que le souvenir du dragon, vaincu par une jeune fille, provoquaient dans sa belle ville. Alors du haut de son château, élevant ses créneaux sur la rive du Rhône, à l'endroit même où vivait jadis le monstre, le souverain pouvait fredonner avec ses sujets en délire, dont les pourpoints et les jupons tourbillonnaient au pied des remparts :
La gadeù, Lagadigadeù, la tarascou !
La gadeù, Lagadigadeù, lou casteù !

la tarasque au pied du chateau :
Spoiler:

Chaque année est organisée la fête de la Tarasque, pendant laquelle on promène un monstre tel que celui ci :

Tarascon (13) : la tarasque 150px-10 Tarascon (13) : la tarasque 800px-10
(en principe le 29 juillet, jour de la Sainte Marthe )


Le 25 novembre 2005, l'UNESCO a inclus la Tarasque dans la liste du patrimoine oral et immatériel de l'humanité.

Pour l’anecdote, un dinosaure, le Tarascosaure, a été nommé en hommage à la Tarasque. On la retrouve aussi au sein du museon Arlaten à Arles, musée ethnographique de la Provence ainsi que d'autre rites et légendes de la région et ses environs.


******
pour cloturer avec Tarascon :

Tartarin de Tarascon
Tartarin de Tarascon est un roman d'Alphonse Daudet écrit en 1872.

Il décrit les aventures burlesques de Tartarin, chef putatif des chasseurs de casquettes de Tarascon, allant chasser le lion en Algérie. C'est un héros naïf, qui se laisse berner par des personnages peu scrupuleux, voire par lui-même tout au long de son voyage vers l'Atlas. Cette histoire fut inspirée à Daudet par son cousin Henri Reynaud, qui lui racontait ses voyages lors de ses retours d'Afrique, ainsi que par la vie de Jules Gérard, chasseur de lions en Algérie d'origine varoise.
Ce roman a trois suites, deux par Alphonse Daudet Tartarin sur les Alpes (1885), Port-Tarascon (1890), une par Georgette Sable, Américano tartarinades (2005).


et pour votre information,

Tarascon est une commune française, située à l'extrémité Ouest du département des Bouches-du-Rhône et de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Ses habitants sont appelés les Tarasconnais.
Située sur la rive gauche du Rhône, en face de la ville de Beaucaire dans le Gard avec qui elle forme une agglomération d'environ 30 000 habitants.

Tradition provençale et empreinte camarguaise

Au-delà de Tartarin, la culture présente à Tarascon est un mélange entre culture camarguaise (proximité avec la ville de Beaucaire dans le Gard), et culture provençale, reliée aux villes d'Avignon et de Marseille. La culture provençale/camarguaise est toujours présente dans les mentalités, un cours de provençal étant offert au lycée Alphonse Daudet de Tarascon et comptant pour le baccalauréat. La culture provençale s'exporte aussi à l'étranger, avec les tissus Souleiado qui sont présents dans plusieurs magasins du monde entier, notamment la boutique Souleiado à New York et Tokyo. Le siège de l'entreprise provençale demeurant historiquement à Tarascon.
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Message  Dan al liver Ven 27 Nov - 16:36

Et sur tarask Boulba, que dalle!
Dan al liver
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Tarascon (13) : la tarasque Empty Re: Tarascon (13) : la tarasque

Message  Cyn Ven 27 Nov - 22:04

merci DS pour cette belle histoire!!
Cyn
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s'assoit à une table

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Tarascon (13) : la tarasque Empty Re: Tarascon (13) : la tarasque

Message  Yvain Sam 28 Nov - 1:45

Trop interessant! merki!

n'empeche qu'en vrai elle fait trop peur!!
Yvain
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Message  LOUP GRIS Sam 28 Nov - 11:11

Perso je trouve que c'est une très belle histoire qui fait ressortir la méchanceté et l'incompréhension de l'homme face au manque de dialogue, face à ce qu'on ne connais pas...

Quand à Tartarin, il me rappelle trop mes années d'école primaire... C'était trop sympa !
LOUP GRIS
LOUP GRIS
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